Portrait – Mohammed Boujalal

Le chant des possibles

On l’a vu, discret derrière son oud, accompagner son fils Abdellah lors d’une poignante reprise de Ayoub Khalifi, pendant l’émission The voice. Un bayonnais qui chante en arabe sur TF1, c’est toujours classe. Et puis ça donne des nouvelles de la famille. C’est que Mohammed Boujalal a encore émigré. Depuis qu’il est devenu “un croque maïs”, il manque à la Zup et à la ville. Et c’est réciproque. Musicien, travailleur social, diplômé de littérature arabe, ce curieux de tout a “besoin de sa dose” de Bayonne. Et d’aller de l’avant, dans ces temps confinés qui ont raison du moral de pas mal d’optimistes.

Concernant la musique, Mohammed le dit sans détour : “on est vraiment un groupe de malade !” Certes, cette manière d’appréhender la musique orientale avec le son occidental, de marier darbouka et batterie, oud et basse, fait du groupe Boujalal une référence montante du Pays Basque, secouant le public comme les apprentis filmeurs qui alimentent les réseaux sociaux d’images tremblantes.

Mais Mohammed compte plutôt les musiciens en berne, entre un bassiste qui rechute, un batteur abattu et lui même, valeureux joueur de oud, connu également pour ses adaptations de chants basques à la sauce orientale, qui a aujourd’hui le moral dans les chaussettes. En cause, bien sûr, ces temps qui interdisent les réunions entre amis comme les concerts. Mais aussi le boulot qui illustre cette période compliquée. Gardien de nuit depuis 17 ans en foyer d’accueil pour mineurs, Mohammed estime que les comportements changent depuis l’arrivée de mineurs non-accompagnés qui refusent les règles, vivent la nuit, deviennent violent et en tout cas ne satisfont plus Mohammed l’idéaliste, ou en tout cas celui qui pense être utile et s’efforce de bien faire. Un vrai tempérament, qui lui permettra sans doute de remonter la pente.

Car le jeune quinqua est un combattant qui retrouve déjà sa force de vie après avoir “stagné dans un petit confort” dit-il. A 52 ans, Mohammed reprend ses études pour passer son doctorat de littérature arabe. Après sa maîtrise, obtenue au Maroc, il a été aussi été chef d’entreprise, sans trop de convictions ni de réussite et a plutôt monté une structure de micro-crédit pour soutenir des projets de femmes et leur assurer une formation ainsi qu’une association de jeunes diplômés, chercheurs d’emploi.

Sous le règne d’Hassan II, c’était déjà un combat. La musique a été une autre lutte. Interdit d’approcher un instrument par l’autorité parentale, sur l’air bien connu de “musicien ce n’est pas une vie”, Mohammed a dû apprendre en cachette, fabriquant des instruments de fortune avec des bidons métalliques, des câbles ou harcelant les chevaux du souk pour leurs piquer leurs crins et finaliser un violon. De cette clandestinité musicale, il a gardé un goût pour les chansons engagées, celles interdites par le roi mais qui faisaient le bonheur des manifs. Avant que la pression policière et surtout familiale ne le fasse lâcher prise.

C’est finalement l’amour d’une boucalaise qui le propulsera en terre basque à l’âge de 33 ans, avec comme seconde satisfaction de pouvoir se mettre au oud sans importuner les animaux du quartier. C’est sur ce tempo que Mohammed a construit une vie bayonnaise bien pleine, que l’exil en terre landaise, à quelques kilomètres de l’Adour, ne pourra pas détourner.

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