Elle fait partie des premiers habitants qui ont reçu les clés du Séqué (Bayonne), en 2014. Avec du bagout et une énergie sans limites, Émilienne monte au front quand les choses ne sont pas normales. Au Séqué, c’est la température des appartements l’été qui n’est pas normale. De vraies bouilloires. Alors, d’elle-même, elle a commencé à réunir les locataires de la résidence pour que ça change. À l’image de sa vie, passée à soutenir les autres.

Dans le noir l’été

Les rideaux beiges qui étaient livrés dans l’appartement sont loin d’être suffisants. Émilienne montre le voilage noir qu’elle a rajouté sur ses fenêtres extérieures : “Tout le monde fait ça, ici. L’été on vit dans le noir. J’avais gardé les plans de l’appartement et je me suis rendue compte qu’il y avait des stores de prévus. Ils sont où, les stores ? ” Celle qui adorait apprendre, mais a dû interrompre ses études scientifiques pour subvenir aux besoins de sa famille, est méthodique : elle commence par démonter sa fenêtre et constate qu’il y avait bien un dispositif prévu pour les stores. Dans son bâtiment, il y a une bonne entente, les gens se parlent, c’est comme ça qu’elle sait que tout le monde est concerné. Depuis chez elle, elle imprime une lettre pour son bailleur HLM, HSA, qu’elle met aux pieds des autres bâtiments. Elle propose aux gens de la contacter. “Sur 62 logements, il y en a 58 qui m’ont répondu !

Bataille collective

Puisqu’ils sont si nombreux, elle ne peut pas s’arrêter là, qu’importe si, en même temps, elle doit aussi combattre 6 tumeurs dont plusieurs au cerveau et subit les effets secondaires de sa chimio. Elle sollicite Alda à sa permanence place des Gascons et écrit à HSA. “Il a fallu les relancer mais HSA est venu cet été, pour voir. J’avais organisé une visite ‘à ma façon’, j’avais réuni une personne par bâtiment et on leur a montré tout ce qui ne marchait pas”. Le contact avec HSA a été bon, mais on ne la fait pas à Émilienne, qui jugera sur actes.

Petite rebelle 

J’ai toujours été têtue. Déjà, à la base, je n’aurais pas dû naître.” Ses parents, tous deux handicapés, bravent les tabous de l’époque pour fonder une famille. “On s’en fiche de ce que pensent les autres. J’ai eu une enfance fabuleuse : moi j’avais mes deux parents à la maison !” Elle a dix ans quand son père meurt, un mois avant la naissance de sa petite sœur. Elle devient le pilier de la famille. Quand ses camarades ont peur de se faire fâcher par leur papa à cause d’une mauvaise note, elle se demande comment remplir la cuve de fioul pour l’hiver. Elle se fait renvoyer du collège Marracq. Motif ? Soulève un réfectoire de 500 élèves. “Les grèves, c’était plus pour sécher les cours que par conviction politique” dit-elle, goguenarde. “Mais faut pas déconner, y en a jamais eu 500, des élèves, au réfectoire.” Rigueur scientifique, on a dit.

Une vie en HLM 

Pas question d’arrêter l’école, elle aime trop apprendre. Celle qui a commencé à travailler à 14 ans va jusqu’à la terminale en suivant des cours par correspondance, et obtient même la mention bien à son bac C (mathématiques). Un pied de nez. Elle fait deux ans à la fac à Bordeaux, jongle avec les cours qu’elle donne à la Sauvegarde de l’Enfance et ses aller-retours pour aider la famille. Ça l’épuise : la mugertar revient au pays et s’installe dans les quartiers HLM de Habas la Plaine, d’abord, puis Cam de Prats. Elle y passera 30 ans et y élèvera seule ses deux jumelles. “La tradition dans la famille c’est de ne pas s’encombrer d’un mari.” Celle qui a gagné plusieurs coupes en moto tient farouchement à sa liberté. Ce qui ne l’empêche pas de dédier sa vie aux autres.

S’occuper des autres

La famille d’abord : sa mère et sa sœur, handicapée elle aussi après s’être fait faucher par une voiture. Son frère, qui a sombré dans la drogue puis l’alcool. Après 32 ans en tant qu’assistante en chirurgie dentaire, elle devient auxiliaire de vie au CIAS (Centre intercommunal d’action sociale) de Saint-Martin-de-Seignanx. Quand la direction change, que les cadences pour s’occuper des patients deviennent inhumaines, que ses collègues enchaînent les CDD précaires, elle accepte de devenir déléguée du personnel. Rebelle, toujours. Maintenant que le cancer est revenu, elle peut compter sur le retour d’ascenseur. Sa famille, son groupe d’amis depuis qu’elle a 18 ans, “les 4 mousquetaires” qui se voient chaque semaine et ne se sont jamais quittés malgré les épreuves, les voisins. Les valeurs d’entraide et de solidarité, Émilienne, ça la connaît. C’est ce qui l’anime, pour le Séqué. En toute simplicité. Un voisin lui a dit : “Si on réussit à avoir des stores, Émilienne, on t’érige une statue !” Elle a rigolé : “On se fait plutôt un apéro”.

L’interview minute

  • Un film ? La ligne verte
  • Une chanson ? J’irais au bout de mes rêves de Jean-Jacques Goldman
  • Une moto  ? lA ZRX 1200 Kawazaki
  • Un coin du Pays Basque ? Tous ! Parce qu’il y a tout ici ! Et s’il faut choisir : la forêt d’Iraty en automne
  • Un plat ? les pâtes à toutes les sauces et les brochettes de coeur de canard
  • Un livre ? la maison Etcheverria d’André-Jean Lafaurie